loading . . . Condamnation de Nicolas Sarkozy : justice politique ou justice indépendante ? À la suite de l’annonce de la décision du tribunal correctionnel de Paris à l’encontre de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, les critiques contre la justice ont été violentes. Julien Sapori, ancien commissaire divisionnaire, s’insurge contre ces attaques qu’il juge injustifiées.
Photo : ©P. Cluzeau
La Justice vient de condamner l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs, avec exécution provisoire (c’est à dire que la peine est applicable immédiatement, avant même que le jugement en appel soit rendu). M. Sarkozy n’a pas accepté ce verdict, et, dans ses interviews, il a posé ces questions : « est-ce du corporatisme ? » , « est-ce de l’acharnement ? » , « est-ce de la politique ? » (questions « rhétoriques », bien sûr, c’est-à-dire dont on connait d’avance la réponse). Pour sa part, M. François-Xavier Bellamy, vice-président des Républicains, est beaucoup plus clair et évoque, sans avoir peur des mots, un « jugement politique » . Ces critiques de la Justice suivent celles formulées par Mme Le Pen à la suite de sa condamnation à quatre ans d’emprisonnement, (dont deux ans assortis de sursis), pour détournement de fonds publics – condamnation assortie d’une exécution provisoire, lui interdisant notamment de se présenter aux élections présidentielles. Mon intention, ici, n’est pas de refaire ces procès, mais simplement de rappeler sur quoi se fondent ces critiques très sévères de la Justice, et en quoi pourraient consister les éventuelles réformes de l’appareil judiciaire ayant comme objectif de mettre fin à ces prétendus disfonctionnements.
Des condamnations « pro forma » pour les « VIP » ?
D’abord, le profil du condamné. Dans l’affaire des écoutes téléphoniques, M. Sarkozy a été condamné pour corruption, et dans l’affaire Bygmalion, il a été condamné pour financement illégal de sa campagne électorale de 2012. Cette condamnation pour association de malfaiteurs est donc la troisième. Il s’agit bien donc, selon la langue française, d’une personne « défavorablement connue des services de police et de la justice ».
Je note par ailleurs que ceux qui attaquent le jugement, n’évoquent jamais la matérialité des faits, c’est-à-dire ce qu’on reproche, concrètement, à M. Sarkozy, mais procèdent uniquement à une critique à caractère général et politique. Ce qu’ils n’admettent pas, c’est qu’une personnalité politique de premier plan soit condamnée à de la prison ferme, le reste (autrement dit ce qu’il a réellement fait – ou pas fait), est sans importance. A la limite, ils accepteraient une condamnation « pro forma », c’est-à-dire sans peine de prison ferme et sans inéligibilité.
L’exécution provisoire, une menace pour l’Etat de droit ?
Dans le cas de M. Sarkozy, c’est son exécution provisoire qui est surtout en ligne de mire. La réaction de Mme Le Pen a été immédiate : « la généralisation de l’exécution provisoire par certaines juridictions représente un grand danger ». Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, l’a suivie, déclarant « partager » le « questionnement grandissant au sein de la société sur l’exécution provisoire d’une condamnation alors que les voies de recours ne sont pas épuisées ». Pourtant, ce dispositif est prévu par la loi, et massivement appliqué chaque année, sans que personne ne s’en soit jamais ému… jusqu’à ce qu’il touche Mme Le Pen et M. Sarkozy. Selon les chiffres officiels communiqués par le ministère de la Justice, en 2023 sur 1 543 632 décisions de justice, 72 946 (soit 4,7 %) ont fait l’objet d’une exécution provisoire, contre 4,3% en 2022 et 3,8% en 2021. La progression est donc constante, et répond à une volonté de sévérité exprimée de manière réitérée par une large majorité de l’opinion publique et des parlementaires, ainsi qu’à la politique pénale mise en œuvre depuis des années par les divers gardes des sceaux. Inutile de rappeler que la droite et l’extrême-droite, sans en avoir le monopole, sont les principaux porte-paroles de cette évolution vers un durcissement toujours plus importante des sanctions judiciaires.
En la matière, M. Sarkozy a toujours figuré au premier plan, déclarant : « Il faut que les peines soient exécutées. La non-exécution des peines, c’est l’impunité » (2012) ; « quand un individu revient pour la 17ème fois devant le tribunal, il doit être puni pour l’ensemble de son œuvre » (2014) ; « Je souhaite qu’il n’y ait pas de mesures d’aménagement de peine pour les peines supérieure à 6 mois. » (2015). Les juges qui ont condamné l’autre jour M. Sarkozy n’ont fait donc qu’appliquer la loi ; et, d’une certaine manière, se sont placés dans la continuité de la politique pénale prônée pendant des années par l’ancien président de la République.
Les « juges rouges » dirigent-ils la magistrature ?
Un autre argument a été mis en avant par ceux qui critiquent la condamnation de M. Sarkozy (et de Mme Le Pen) : ces jugements auraient été pris par des magistrats politisés – lire : des « juges rouges ». Bien évidemment, ce raisonnement ne se fonde sur aucun argument factuel, et fait fi des 380 pages qui motivent la condamnation. Cette condamnation de M. Sarkozy faisant suite aux deux précédentes, rendues en première instance puis en appel : au total, cela fait donc cinq tribunaux différents, chaque fois composés de juges qui n’étaient pas présents aux autres jugements – ce à quoi il faut ajouter les juges d’instruction, les procureurs de la République et les substituts de chaque affaire. On doit arriver, au total, à une bonne vingtaine de magistrats ; lesquels, bien évidemment, n’auraient pas pu faire grand-chose sans les enquêteurs qui les ont assistés… On se trouverait donc face à un gigantesque complot, toutes ces personnes faisant partie d’une machine occulte, manipulée par la gauche et ayant un objectif unique : déstabiliser ses adversaires politiques.
Après les condamnations de M. Fillon, de Mme Le Pen et de M. Sarkozy, la fracture entre l’appareil judiciaire et une partie de la classe politique semble donc consommée. L’arrivée au pouvoir, en 2027, de cette sensibilité politique étant hautement probable, on peut imaginer qu’une réforme radicale de la Justice sera, inévitablement, de mise : en quoi pourrait-elle consister ? Pour le moment, en dehors des diverses déclarations tonitruantes, rien ne filtre. Je vais tâcher d’en tracer les grandes lignes.
Recourir au droit de grâce ?
C’est ce qui a été proposé par le sénateur LR Max Brisson, affirmant que cela est « indispensable pour la dignité d’un homme [M. Sarkozy], la fonction présidentielle et nos institutions ». Est-ce possible ? Oui… mais « la grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine » (article 133-7 du code pénal). Ce qui signifie que si M. Sarkozy était gracié, il le serait uniquement pour la peine déjà prononcée, la procédure actuelle (demandée par M. Sarkozy) se poursuivant devant la cour d’appel, qui pourrait prononcer une nouvelle condamnation… qui devrait donc être suivie d’une nouvelle grâce ?
Et quid des autres procédures judiciaires sensibles à venir : il faudrait, à chaque fois, que le président de la République intervienne pour sauver la mise aux condamnés ? Y compris pour ceux de « l’autre camp »… ou seulement pour les siens ? On rentre, ici, dans des considérations purement politiques que je n’ai pas l’intention d’aborder, mais je ne pense pas que cette « solution » contribuerait à améliorer l’estime de l’opinion publique pour les élus.
Interdire le droit syndical des magistrats ?
C’est la proposition faite par le député du Rassemblement National Jean Philippe Tanguy sur BFMTV le 10 juillet dernier. Ce droit a été reconnu par l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 (prise pendant le premier mandat du général De Gaulle…). Elle a valeur constitutionnelle et, pour être abrogée, nécessiterait donc une révision de la Constitution, procédure très difficile à faire aboutir comme chacun le sait… mais pas impossible. En optant pour cette interdiction, la France se distinguerait parmi toutes les démocraties, mais cela non plus ne constitue pas un obstacle insurmontable (cf. article dans Actu-juridique.fr du 30/05/2024, par Mme Cécile Mamelin, magistrat).
Reste donc à savoir si une telle mesure serait efficace. Les « juges rouges » qui, d’après M. Tanguy condamneraient à tort et à travers les élus de son camp (ou proche), seraient ceux du Syndicat de la Magistrature : or ce syndicat a toujours été minoritaire (aux dernières élections syndicales il n’a réuni que 33% des suffrages). Compte tenu des nombreuses condamnations prononcées ces dernières années contre des représentants de la droite et de l’extrême-droite, nous sommes obligés de penser que les juges du syndicat majoritaire, l’USM (considéré « de droite »), se sont, aussi, prononcés en faveur de leur culpabilité…
De toute manière, que le droit syndical des magistrats soit reconnu ou pas, il n’existe actuellement, sur la planète, aucun moyen permettant de savoir ce que chaque juge pense de la manière de rendre la justice ou, même, en matière de politique : comment écarter donc ceux qui « pensent mal » ? Ils continueront à « penser mal », avec ou sans syndicat : et, très probablement, auront une piètre opinion des politiciens qui auront supprimé leur droit syndical.
Elire les magistrats ?
« Vas-y, comme en Amérique ! », disait Jacques Tati dans son film Jour de fête . On retrouve parfois cette proposition dans les réseaux sociaux, émanant de militants d’extrême-droite, offusqués à l’idée d’être jugés par des « magistrats-fonctionnaires », et convaincus qu’aux USA et au Mexique (pays qui pratiquent l’élection des juges), la paix sociale et la sécurité des personnes et des biens règnent – comme chacun le sait. La proposition a été reprise par l’historien du droit Jacques Krynen, dans un article publié le 11 avril 2025 dans Philosophie Magazine , et par un ancien assistant parlementaire du parti Horizons , le 27 juillet 2022 dans l’hebdomadaire Marianne . En 2010, M. Brice Hortefeux (un proche de M. Sarkozy, ancien ministre de l’intérieur, condamné en 2025 pour association de malfaiteurs), l’avait aussi préconisé, et voici comment lui avait répondu M. Dany Cohen, professeur des universités à Sciences Po, dans un article publié le 24 septembre 2010 par Le Monde : « Qui financera la campagne du juge ? Les partis politiques ? De fait, dans certains Etats américains, la candidature est dite partisane, c’est-à-dire que le juge doit se déclarer démocrate ou républicain, réclamer l’investiture d’un parti. Veut-on élire en France des juges UMP, PS, Front national, étiquetés et financés par leur parti ? L’adjectif « partisan » ira comme un gant à ces juges dont le discours électoral ne pourra s’écarter sensiblement du programme du parti qui paie leur campagne : la voix de son maître, en somme. Idéal pour que leurs jugements soient acceptés par nos concitoyens ».
Reste aussi à savoir si M. Sarkozy et Mme Le Pen seraient à l’aise sachant qu’ils pourraient être jugés par un tribunal composé de magistrats désignés par des électeurs de La France Insoumise …
Adopter le principe d’une Justice « spéciale », réservée aux tout puissants ?
La sévérité (et notamment l’exécution provisoire…) serait réservée au vulgus , tandis que les « VIP » en seraient dispensés. Cela existait déjà sous l’Ancien Régime avec la Chambre Ardente (un tribunal et des juges désignés spécialement par le roi, compétent pour certaines affaires sensibles mettant en cause des personnalités). Ce fut le cas, à titre d’exemple, pour le tout-puissant Nicolas Fouquet, surintendant aux finances de Louis XIV, ou encore pour la Marquise de Brinvilliers. Le problème est que le premier fût condamné à la prison à vie, et la deuxième condamnée à mort et exécutée… La garantie d’immunité, risque de se transformer en une prise de risque supplémentaire.
En conclusion, il y a du pain sur la planche pour les juristes qui s’attèleraient à « mettre en musique » certaines préconisations qui, de toute évidence, auraient du mal à passer des promesses électorales au droit positif… https://www.actu-juridique.fr/institution-judiciaire/condamnation-de-nicolas-sarkozy-justice-politique-ou-justice-independante/