loading . . . Démission du gouvernement Bayrou : sortir volontairement de la talanquère, et après ? neirfy/AdobeStock
L’annonce, le 25 août, de l’engagement de responsabilité du gouvernement Bayrou sur une déclaration de politique générale selon la procédure prévue à l’article 49, alinéa 1, de la Constitution avait de quoi surprendre : elle s’adressait à une Assemblée où les oppositions, réunissant leurs voix, étaient largement en mesure de rejeter la confiance et poussées par leurs bases à le faire. La chronique d’un renversement annoncé s’est déroulée comme prévu : le 8 septembre, la déclaration de politique générale du Premier ministre était rejetée par les députés par 364 voix contre 194, le « bloc central » se fissure un peu plus ; dès le lendemain, François Bayrou présentait au chef de l’État la démission de son gouvernement. La pratique institutionnelle ressemble désormais fortement à celle de la IV e République finissante. La Constitution de 1958 fut conçue, alors que le fait majoritaire n’existait pas, pour empêcher toute rechute dans l’instabilité ministérielle, dans la suprématie des partis et dans le désordre parlementaire. La dissolution du 9 juin 2024 et l’engagement de responsabilité du 8 septembre 2025 marquent au contraire le retour des vices institutionnels qui caractérisaient les périodes précédentes. Le dernier pilier du régime semble être la stabilité du mandat du chef de l’État, mais la fonction est à ce point affaiblie que même cet acquis est désormais fragilisé. Dans ce contexte quels peuvent être les scénarios à venir ?
La réactivation de l’article 49, alinéa 1 er , de la Constitution
L’article 49, alinéa premier, de la Constitution se rattache au parlementarisme rationalisé.
Sous la Troisième République, la loi du 25 février 1875 dispose que « Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement ».
Sous la Quatrième, l’investiture ou la confiance parlementaire sont exigées dès la nomination du gouvernement. Il s’agit même d’une double investiture : le chef du gouvernement : « soumet à l’Assemblée nationale le programme et la politique du Cabinet qu’il se propose de constituer », puis « Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu’après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l’Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l’Assemblée nationale. » La révision du 7 décembre 1954 prévoyait un seul vote de confiance, selon lequel le Président du Conseil « … choisit les membres de son cabinet et en fait connaître la liste à l’Assemblée nationale devant laquelle il se présente afin d’obtenir sa confiance sur le programme et la politique qu’il compte poursuivre … ». Mais la stabilité des gouvernements n’est revenue ni avant, ni après cette révision.
Aux termes du premier alinéa de l’article 49 de la Constitution de la V e République : « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Malgré les apparences, l’innovation de 1958 a consisté à rendre la question de confiance facultative : le verbe « engage », quoiqu’utilisé au présent, n’est pas un impératif présent juridique. Sur ce point, comme le notait Jean Claude Colliard (Luchaire, Conac et Pretot, la Constitution de la V e République, Economica, 3 e éd., 2009, p. 1233), les travaux préparatoires sont d’une « remarquable obscurité ». Tentant d’expliciter cette rédaction, Raymond Janot avait plaidé pour le caractère facultatif de l’usage de l’article 49, alinéa 1 : « Cela veut dire que, comme sous la Constitution de 1875, le gouvernement n’a pas besoin d’investiture ; ça veut dire aussi qu’il devra venir devant l’Assemblée nationale, mais qu’il ne se précipitera pas, il n’est pas tenu de venir dans les trois jours. Bien entendu, il ne peut pas rester deux mois sans venir devant l’Assemblée, mais disons que l’interprétation correcte de cet alinéa, c’est que le gouvernement est nommé, qu’il travaille dix ou douze jours, et qu’il seprésente devant l’Assemblée. Voilà l’idée » ( Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, vol. IV, La Documentation française, Paris, 1991, p. 18 ).
La pratique a eu raison de ces hésitations. Pierre Avril a pu constater « une convention contra legem : la disparition du « programme » de l’article 49 de la Constitution » ( Mélanges Gicquel LGDJ, 2008 ). La possibilité d’engager la responsabilité du gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale est devenue purement discrétionnaire. La question de confiance n’intervient pas nécessairement lors de la nomination du gouvernement (Messmer II : nomination 5 juillet et déclaration le 3 octobre 1972). Elle est notamment évitée en cas d’étroitesse ou de division de la majorité : les gouvernements Couve de Murville, Barre, Rocard, Cresson, Bérégovoy, ou plus près de nous, Borne, Attal et Barnier, lui ont préféré une déclaration non suivie d’un vote, procédure que, depuis 2008, la Constitution prévoit à l’article 50 -1. François Bayrou avait lui aussi choisi cette voie le 14 janvier 2025, laissant aux oppositions divisées l’initiative de dépôt de motions de censure permettant une tacite abstention. Pour une motion de censure, on ne compte que les voix explicitement défavorables au gouvernement (le gouvernement tombe si et seulement si ces suffrages défavorables sont émis par la majorité des députés), alors que, pour la question de confiance, on compte à la fois les voix qui lui sont favorables et hostiles : la confiance est refusée si les suffrages exprimés en faveur du gouvernement sont en nombre inférieur à ceux exprimés à son encontre.
Un nouveau recours à l’article 50-1 de la Constitution aurait été inutile à ce stade, puisqu’il s’agit en réalité de faire valider des orientations budgétaires déjà annoncées. Dans cette perspective, pourquoi ne pas avoir attendu le résultat d’un engagement de responsabilité sur un texte financier en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, comme l’avait fait Michel Barnier ? Même si, dans la configuration actuelle de l’Assemblée, les oppositions sont majoritaires, le renversement du gouvernement n’était pas certain par la voie de l’article 49, troisième alinéa, car il aurait fallu pour cela que la même motion de censure soit votée à la fois par la gauche et le RN. Or s’il était probable que la gauche et le RN déposeraient des motions de censure à l’automne en cas de mise en œuvre de l’article 49, troisième alinéa, sur des textes budgétaires reflétant les options retenues par l’actuel Premier ministre, il n’était pas acquis que les uns auraient voté une motion de censure déposée par les autres. La détestation mutuelle des oppositions aurait peut-être permis au gouvernement de se maintenir dès lors que ce qui les divisait était plus fort que leur souhait de le renverser.
Le renversement du gouvernement au titre de l’article 49, premier alinéa, était en revanche hautement probable.
En effet, les groupes LFI, écologiste et communiste ne pouvaient que refuser la confiance comme un seul homme. Il suffisait donc, pour provoquer la démission du gouvernement au titre de l’article 49 (premier alinéa), que le RN lui refuse lui-aussi sa confiance, ce qui était dans l’ordre du plausible, pour ne pas dire du certain. Quant au groupe socialiste, sa neutralité était une vue de l’esprit. Olivier Faure n’avait-il pas déclaré qu’il serait « inimaginable » que son groupe vote la confiance ? Le contre-projet budgétaire élaboré par le parti socialiste (avec la suspension de la réforme des retraites, l’instauration de la taxe Zucman et la remise en cause de la politique de l’offre) n’était-il pas aux antipodes des orientations du bloc central ? En tout état de cause, à la supposer obtenue, l’abstention des députés socialistes n’aurait pas suffi à réunir à l’Assemblée une majorité de voix exprimées en faveur de la déclaration de politique générale.
Dans l’état d’esprit des oppositions (et celui de leurs bases, viscéralement hostiles au gouvernement), s’abstenir aurait été incohérent… Un vieux routier de la politique ne pouvait l’ignorer. Il se savait d’avance renversé. Dans ces conditions, comment voir dans sa décision une simple erreur de calcul ou un coup de poker ?
Il apparaît donc que François Bayrou voulait jeter l’éponge avant l’épreuve, c’est-à-dire avant le débat budgétaire, qui devient pour tout gouvernement, dans le contexte présent, une épreuve décisive et redoutable.
Dès lors que depuis 2022, et plus encore depuis 2024, majorité présidentielle et majorité parlementaire sont introuvables, il est certes tentant de quitter la partie en soignant sa sortie. Dans quel autre but le Premier ministre serait-il sorti prématurément de la talanquère (de l’espagnol « talanquera » : barrière disposée autour de l’arène, derrière laquelle on se met à l’abri du taureau), au risque de creuser un peu plus le fossé entre la nécessité d’agir et l’impossibilité de l’action ?
Qu’est-ce qui a déterminé le Premier ministre ? La volonté de quitter l’arène avec panache en montrant qu’il ne s’accrochait pas au poste et qu’il avait fait ce qu’il a pu ? Le bénéfice d’image n’est cependant pas acquis. On avait compris, avant le 25 août, que François Bayrou lutterait jusqu’au bout – en désamorçant ou en bravant les motions de censure – pour la cause des finances publiques. Qu’il resterait sur le pont jusqu’au sauvetage ou jusqu’au naufrage. Or voici qu’il écourte sa mission et compromet la poursuite de plusieurs politiques essentielles (finances publiques, relations internationales, sécurité, outre-mer…). Voici qu’il semble s’ingénier à démontrer que la France est décidément ingouvernable et que ce qui serait vital au pays lui est en même temps impossible.
Un vote de confiance figeant davantage les positions qu’une motion de censure, à laquelle seules participent les voix hostiles au gouvernement, le vote de défiance durcit encore les clivages. Sauf dissolution – et sauf à nommer un gouvernement issu soit d’une introuvable entente entre les Républicains, le centre et le parti socialiste, soit d’une insaisissable « société civile » -, le prochain gouvernement représentera encore (au mieux) le « bloc central », si fissuré soit-il.
Tocqueville voyait dans la démocratie le risque d’une « tyrannie » de la majorité. La situation présente incarne le risque inverse : celui de la tyrannie des minorités.
Nomination d’un nouveau gouvernement
Emmanuel Macron peut tenter une stratégie dilatoire : attendre de voir émerger un gouvernement suffisamment large sous l’autorité d’un Premier ministre suffisamment consensuel pour ne pas coaliser trop vite contre lui une majorité parlementaire hostile. Après la démission de Gabriel Attal, le 16 juillet 2024, c’est ce qui fut tenté avec le gouvernement Barnier. Ce dernier n’ayant été nommé que le 5 septembre 2024, la V e République connut sa plus longue durée d’expédition des affaires courantes. L’attentisme qui en résulta fut dommageable à la décision publique comme à la vie économique.
Le Conseil d’État considère que le point de départ de la période d’expédition des affaires courantes est non la date de présentation au président de la République de la démission du gouvernement par le Premier ministre, mais celle de la signature du décret présidentiel mettant fin aux fonctions du gouvernement sur présentation de sa démission par le Premier ministre ( CE, 20 janvier 1988, Commune de Pomerol ).
Le décalage temporel entre la remise de la démission du Premier ministre et la prise d’effet de cette démission (du fait de l’intervention du décret présidentiel mettant fin aux fonctions du gouvernement) est le plus souvent bref, mais il peut aussi être conséquent. Ainsi, en 1962, après le vote de la motion de censure, le général de Gaulle avait reçu la démission du Premier ministre, Georges Pompidou, le 5 octobre 1962. Mais il lui avait demandé de continuer d’assurer ses fonctions (avant de dissoudre, le 9 octobre, l’Assemblée nationale). Là aussi la démission fut différée, puisqu’elle ne fut acceptée que par décret du 28 novembre 1962. Entre-temps, une double campagne électorale se déroulait.
Contrairement à l’intérim de la Présidence de la République, la Constitution n’organise pas la transition d’un gouvernement qui a présenté sa démission et ne prévoit ni la gestion des « affaires courantes », ni la durée d’une telle transition.
La notion d’« affaires courantes » relève à ce jour du droit administratif. Ainsi, dans une affaire d’Assemblée du contentieux du 4 avril 1952 ( Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Lebon p. 210 ), le Conseil d’État juge qu’un « gouvernement démissionnaire, selon un principe traditionnel de droit public, […] ne peut que procéder à l’expédition des affaires courantes ».
Il s’agit des mesures inhérentes au fonctionnement ordinaire des administrations, faisant application du droit en vigueur à des questions ne présentant pas un caractère politique et ne soulevant pas de difficultés juridiques sérieuses. C’est notamment le cas de la poursuite, sans discontinuité, d’une situation préexistant à la date de la démission du gouvernement ( CE, Section, 22 avril 1966, Fédération nationale des syndicats de police de France et d’outre-mer, n° 59340 ; avis n° 408876 rendu par le CE le 29 juillet 2024 sur le projet de décret relatif à l’assurance chômage).
On écarte en revanche les mesures qui traduisent des initiatives nouvelles ou la volonté de modifier le droit applicable. Sont ainsi exclues, de façon générale, les mesures sortant de l’ordinaire, sauf si elles sont dictées par un impératif constitutionnel (avis du CE du 29 juillet 2024, préc.). Un contentieux est en cours à cet égard à propos du changement des vitraux de Notre-Dame (passé outre du ministre de la Culture, inspiré par Emmanuel Macron, à l’avis négatif de la Commission des monuments historiques).
Un gouvernement démissionnaire est également compétent pour prendre les mesures justifiées par l’urgence, c’est-à-dire par la nécessité de sauvegarder la continuité de la vie de la nation.
Le dépôt d’un projet de loi au Parlement et la participation d’un ministre à sa discussion échappent à la notion d’affaire urgente (et a fortiori à celle d’affaire courante), sauf au titre de la continuité de la Nation. La question n’est pas tranchée du dépôt ou de l’inscription à l’ordre du jour de textes en navette. On peut imaginer que le gouvernement démissionnaire fasse adopter un texte autre que budgétaire répondant à une urgence constitutionnelle. Tel pourrait être le cas, en raison d’impérieuses raisons d’ordre public liées à la situation locale, du projet de loi organique reportant la date des élections régionales en Nouvelle-Calédonie.
La reconnaissance d’un État étranger – qui n’est pas une compétence exclusive du Président puisqu’elle appelle des mesures gouvernementales de préparation et d’exécution (accréditation de représentants, installation d’une ambassade française…) – ne relève d’aucune des catégories auxquelles la jurisprudence rattache les affaires qu’un gouvernement démissionnaire est compétent pour « expédier ». La question s’était déjà posée en 2024 à propos de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental. La reconnaissance d’un État palestinien, tout étranger qu’il soit à la notion d’« affaires courantes et urgentes », serait en revanche un acte de gouvernement insusceptible de recours. De plus, la reconnaissance pourrait avoir lieu avant l’intervention du décret présidentiel portant cessation de fonction du gouvernement, c’est-à-dire avant le début de la période d’expédition des affaires courantes, telle que la définit la jurisprudence. Il suffirait ainsi au chef de l’État de signer le décret au lendemain du 22 septembre 2025, date de l’assemblée générale des Nations unies à l’ordre du jour laquelle est inscrite la question.
Notons cependant que le Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur la question de la date d’ouverture de la période d’expédition des affaires courantes, ni sur aucune autre question relative aux affaires courantes. Il pourrait l’être en cas de recours contre une loi issue d’un projet déposé ou soutenu par un gouvernement démissionnaire… et prendre une position moins accommodante que celle du Conseil d’État.
La date d’ouverture de la période d’expédition des affaires courantes pose problème au regard du calendrier d’examen des textes budgétaires dont le dépôt est obligatoire : au plus tard le premier mardi d’octobre ( LOLF, art. 39 ; CSS, art. LO 111-6 ), soit le 7 octobre en 2025. Ce calendrier doit également inclure la mise aux voix préalable du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2024.
Le vote des textes financiers (ou, comme on va le voir, de leurs succédanés) s’impose au regard de la continuité de la vie nationale. Le feuilleton budgétaire de 2024 va-t-il se reproduire ? Comment résoudre l’équation budgétaire complexe à laquelle le gouvernement, le Parlement et le pays tout entier sont confrontés ?
Evoquons une première hypothèse : un nouveau gouvernement est rapidement nommé, qui dépose en temps utile les projets de textes financiers et les fait aboutir avant la fin de l’année en recourant, s’il le faut (et avec succès), à l’article 49, troisième alinéa, de la Constitution. L’hypothèse est optimiste, mais non illusoire, puisqu’elle s’est réalisée au début de l’année 2025. Mais si tel n’est pas le cas ?
Le troisième alinéa de l’article 47 de la Constitution (« Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ») s’applique dans l’hypothèse où le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours à partir de la date de dépôt du projet. Il est alors éventuellement procédé par voie d’ordonnance. Le Constituant vise l’hypothèse dans laquelle, au terme des soixante-dix jours, le Parlement n’a pas achevé l’examen du projet de loi de finances, et non celle où il l’aurait définitivement rejeté. Ici encore il faut se référer à Raymond Janot « si le Parlement rejette le projet de budget, il est rejeté ; il n’est pas question de l’appliquer par ordonnance » ( Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, volume II, La Documentation française, 1988 , p. 79). À condition qu’il ait déposé son texte à temps et que le débat parlementaire s’enlise, ce dispositif pourrait être actionné pour la première fois sous la V e République pour le budget de 2026.
Le quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution vise une situation différente : « Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés » . Ce serait alors, après le processus qui a abouti à la promulgation de la LFI pour 2025, le 14 février 2025, la deuxième application de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui reprend les deux outils – projet de loi partiel et projet de loi spéciale – déjà prévus par l’article 44 de l’ordonnance de 1959. Ces procédures budgétaires exceptionnelles sont faites pour parer aux situations extrêmes qui, en principe, ne devraient pas se produire. Mais il a fallu y avoir recours en 2024.
La première voie (projet de loi partiel) permet au gouvernement de demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre, d’émettre un vote séparé sur la première partie de la loi de finances de l’année (autorisation de continuer à percevoir les impôts existants et conditions générales de l’équilibre financier). C’est ce qui a été fait à l’époque sans que la loi organique ne le prévoit, le 11 décembre 1962, à la suite du renversement du gouvernement de Georges Pompidou par l’adoption d’une motion de censure (en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution) par l’Assemblée nationale, le 4 octobre 1962. La première partie du projet de loi de finances pour 1963, comportant le tableau d’équilibre, a alors pu être promulguée le 22 décembre 1962. La seconde partie du même projet a été discutée au cours d’une session extraordinaire, pour être promulguée le 23 février 1963.
La seconde possibilité, pratiquée en 2024, consiste, pour le gouvernement, à déposer, avant le 19 décembre, un « projet de loi spéciale » l’autorisant simplement à percevoir les impôts existants.
Alors même que la condition posée par l’article 47 (quatrième alinéa) de la Constitution n’était pas exactement remplie ( M. Charles de Courson, rapport n° 719 sur le projet de loi spéciale, 12 décembre 2024, XVII e législature, p. 10 ), c’est cette seconde voie qui a été suivie en 2024. Un projet de loi spéciale a été déposé le 11 décembre à l’Assemblée nationale et défendu au Parlement par le gouvernement Barnier, démissionnaire. Dans son avis du 9 décembre 2024, le Conseil d’État a estimé qu’il appartenait au gouvernement « de s’inspirer des règles prévues par l’article 45 de la LOLF, aux fins d’aboutir à la promulgation, avant le 1 er janvier 2025, d’une loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année 2025 ». Le Conseil d’État a également considéré que le champ de cette loi spéciale pouvait s’étendre, non seulement à l’autorisation de prélever l’ensemble des ressources, notamment fiscales, de l’État et des impositions de toutes natures affectées à d’autres personnes morales, mais aussi à l’autorisation, pour l’État et les organismes de sécurité sociale, de recourir à l’emprunt jusqu’à l’adoption, respectivement, de la loi de finances pour 2025 et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Était implicitement permise, selon le Conseil d’État, la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales – reconduction rendue explicite par amendement à l’Assemblée nationale. En revanche, étaient étrangères au domaine de la loi spéciale les dispositions fiscales autres que l’autorisation de continuer à percevoir les impôts existants, notamment l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. Les amendements d’indexation ont ainsi été déclarés irrecevables par la Présidente de l’Assemblée nationale (débats AN 16 décembre 2024).
Dans les deux procédures prévues à l’article 45, après l’adoption soit de la seule première partie de la loi de finances, soit de la loi spéciale, le gouvernement procède par décret à l’ouverture des crédits, uniquement en ce qui concerne les « services votés », que les auteurs considèrent comme s’étendant aux subventions pour charge de services publics (LOLF, article 5) et aux dépenses relevant de la continuité de la vie démocratique : aide aux partis politiques et aides à la presse, mais ce dernier point n’est pas tranché. Le 12 décembre 2024, une circulaire du Premier ministre demande aux ministres d’adopter « un principe de prudence et de parcimonie dans les dépenses qui seront engagées et payées à partir du 1 er janvier 2025 ».
La loi spéciale a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 16 décembre 2024 et par le Sénat deux jours plus tard. Elle n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel. Ces mesures ne faisaient en effet que reporter les échéances. Mais une réitération de ce précédent ne sera peut-être pas aussi bien reçue par une Assemblée qui tenterait une phase supplémentaire de blocage budgétaire visant non plus le gouvernement, mais le chef de l’État.
Si le contexte politique peut inciter le Président à mûrir la composition du gouvernement, la pression parlementaire et médiatique pourrait, à l’inverse, le contraindre à désigner rapidement un nouveau Premier ministre. Ce dernier pourra-t-il passer l’obstacle des premières passes de muleta ? Le rejet de la question de confiance risque en effet d’avoir érodé le crédit et les marges de manœuvre de tout nouveau gouvernement. Une concertation sera nécessaire, mais sera-t-elle suffisante ? Si elle échoue, le spectre du vote d’une motion de censure pourrait très vite ressurgir.
Une dissolution ?
Il n’est pas étonnant, dans ce pénible contexte, que l’hypothèse de la dissolution s’invite dans le débat. Un ancien président de la République la juge inévitable ( voir l’interview donnée au Figaro par Nicolas Sarkozy le 2 septembre 2025 ).
On a beaucoup insisté, après la dissolution du 9 juin 2024 sur la seule règle impérative fixée par l’article 12 de la Constitution : il ne peut plus y avoir de nouvelle dissolution pendant un délai d’un an après les élections suivant la précédente, soit ici le 8 juillet 2025. Cette règle « dissolution sur dissolution ne vaut » est même pour René Capitant la marque d’une possible responsabilité politique du Président : « au cas où l’Assemblée nationale l’a emporté devant le suffrage universel dans le conflit qui l’opposait au Président, celle -ci dispose du pouvoir de faire exécuter à son profit la sentence populaire et de contraindre le chef de l’État à se démettre puisqu’il est désormais sans défense devant elle » (René Capitant, Écrits, Flammarion, 1972, p. 24). Emmanuel Macron est libéré de cette interdiction puisqu’un an s’est écoulé depuis les élections législatives ayant suivi la dissolution de juin 2024.
En principe, lorsque le gouvernement est renversé, la recherche de l’équilibre institutionnel justifie une dissolution prononcée par un Président arbitre. En régime parlementaire, celle-ci n’est-elle pas la contrepartie nécessaire de l’équilibre des pouvoirs, illustré par l’adage : « Tu me renverses, je te dissous » ?
C’est à ce schéma que répondait la dissolution du 9 octobre 1962. Le vote de la motion de censure le 4 octobre 1962 renversa le gouvernement Pompidou, même si elle visait clairement le général de Gaulle, comme le concluait Paul Reynaud : « Allez dire à l’Élysée que cette assemblée n’est pas assez dégénérée pour renier la République ». Conjointe au référendum, la dissolution fut l’occasion de faire trancher le conflit par le peuple.
La même logique inspire le chef de l’État en 1968. Dans son « De Gaulle » (Points, Seuil, 2019, p. 1162), Julian Jackson rappelle que c’est Georges Pompidou qui impose une dissolution qui n’est pas conditionnée par un renversement du gouvernement : « Les archives de De Gaulle contiennent la version dactylographiée du discours dans laquelle la phrase « je ne dissoudrai pas en ce moment le Parlement qui n’a pas voté la censure » a été rayée et remplacée à la main par le Général par cette phrase : « je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale ».
La dissolution relève d’une appréciation discrétionnaire du chef de l’État. Elle est insusceptible de recours ( CE, 20 fev. 1989, Allain, n° 98538 , Rec. p. 60, Cons. const. en dernier lieu n° 2024-42/43/44/45/46/47/48/49/50/51/52/53 ELEC du 26 juin 2024 ).
En revanche, le Conseil constitutionnel ( Cons. const., 11 juin 1981, Delmas, n° 81-1, ELEC ) , se prononce sur l’organisation des élections avant leur tenue, en particulier sur le décret de convocation des électeurs. En effet « Le Conseil constitutionnel peut exceptionnellement statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d’élections à venir, dans les cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle de l’élection des députés et des sénateurs, vicierait le déroulement général des opérations électorales ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » (à la suite à la dissolution de 2024 : Cons. const. n° 2024-32/33/34/35/36/37/38/39/40/41 ELEC du 20 juin 2024 ; 2024-42/43/44/45/46/47/48/49/50/51/52/53 ELEC du 26 juin 2024 ) . L’existence, devant le Conseil constitutionnel, de cette « voie de recours exceptionnelle contre un décret ayant cet objet fait obstacle à ce que le juge des référés du Conseil d’État statue sur des conclusions présentées contre ce décret » ( CE, 19 juin 2024, n°495251 )
Sur le plan politique, le succès ou l’échec d’une dissolution tient beaucoup à la compréhension de ses motifs par les électeurs. Or la dissolution comme réponse à la censure demeure d’une logique imparable et parfaitement claire pour l’opinion publique.
Quelle serait l’incidence d’une nouvelle dissolution, si elle est suivie d’une nouveau désaveu électoral, sur le mandat présidentiel ? En 1962, comme en 1968, comme pour le référendum en 1969, la consultation a une fonction plébiscitaire, ou si l’on préfère de mise en jeu de facto de la responsabilité politique du chef de l’État. Absente des textes, cette responsabilité politique du chef de l’État n’en est pas moins centrale du point de vue du bon fonctionnement des institutions. Elle repose fondamentalement sur le lien entre le Président et le peuple. Un référendum ou une dissolution sont des décisions présidentielles discrétionnaires. Un échec adresse donc au président de la République un désaveu personnel. Pour justifier la dissolution du 16 mai 1877, Mac Mahon écrit à Jules Simon « si je ne suis pas responsable comme vous envers le Parlement, j’ai une responsabilité envers la France ». De son côté, Gambetta avait souligné, en cas de désaveu politique par le pays, la nécessité « de se soumettre ou de se démettre », donc de faire jouer une responsabilité politique devenue effective en 1879.
Le précédent de 1969 n’est cependant pas totalement transposable aux circonstances présentes : c’est le Premier ministre qui a décidé de demander un vote de confiance et qui assume le poids de ses propres propositions. La décision de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement ne provient pas du Président. Même s’il l’approuve en conseil des ministres, il n’en est pas l’auteur. À la différence de la dissolution du 9 juin 2024, il n’apparaît pas comme à l’origine de cette « crise dans la crise » qu’est le vote de défiance du 8 septembre 2025.
Il n’en demeure pas moins que l’Assemblée issue d’une nouvelle dissolution pourrait être tout aussi fragmentée que celle issue des élections législatives de l’été 2024. Le « bloc central » pourrait en ressortir encore rétréci. Les projections montrent une gauche toujours minoritaire (à l’image de son poids dans l’opinion) et un RN renforcé, mais n’atteignant toujours pas la majorité absolue. Or Jordan Bardella subordonnait à l’obtention de celle-ci, en 2024, son acceptation du poste de Premier ministre. On peut en outre penser que l’arrivée aux affaires d’un parti aussi inexpérimenté et aussi clivant que le RN serait problématique à défaut de pouvoir s’appuyer sur une majorité suffisamment large. Quoiqu’il en soit, la mise en cause politique d’Emmanuel Macron serait d’autant plus vive que le désaveu des urnes aurait été réitéré.
Ajoutons que cette deuxième dissolution, intervenant d’ici l’élection présidentielle, pourrait n’être qu’une parenthèse avant une troisième dissolution : celle qu’un nouveau Président estimerait nécessaire au lendemain de son installation à l’Élysée. Cette troisième dissolution pourrait d’ailleurs être fâcheusement retardée si la deuxième intervenait dans la dernière année du quinquennat. Comme il a été dit plus haut, l’article 12 de la Constitution interdit en effet toute dissolution dans l’année suivant les élections législatives tenues à la suite d’une précédente dissolution.
Qui plus est, ces dissolutions à répétition achèveraient de fâcher les Français contre les mécanismes démocratiques, dans lesquels ils ne voient plus que des gesticulations partisanes opportunistes déconnectées des problèmes réels.
Une dissolution devrait rester un acte exceptionnel, un dernier recours à n’utiliser qu’en cas de nécessité absolue.
S’ajoute à ces arguments le coût économique d’une dissolution : non pas seulement le coût administratif de l’organisation d’élections législatives (voir JO AN Q. n° 37, 3 juin 2025, p. 4420 : 134 millions d’euros inscrits, hors remboursement aux candidats), mais encore et surtout celui entraîné, pour l’économie, par l’incertitude budgétaire et fiscale.
Depuis 1958, la dissolution avait toujours permis au peuple d’élire une majorité en choisissant entre deux grandes familles politiques, et de décider s’il fallait ou non une alternance : 333 sièges au programme commun de gouvernement en 1981 ; 275 socialistes et 25 communistes en 1988 ; 319 à la majorité de gauche en 1997.
En 2024 ce ne fut pas le cas. La dissolution produisit une assemblée éclatée en trois blocs et onze groupes. Si une nouvelle dissolution devait reproduire le même effet, elle renverrait plus brutalement encore à la responsabilité d’Emmanuel Macron « envers la France ».
L’introuvable responsabilité politique du chef de l’État
À la différence de 1877, nous n’inaugurons pas une phase nouvelle de notre histoire constitutionnelle, mais nous vivons probablement l’acmé d’ un paradoxe constitutionnel de plus en plus flagrant : un Président qui décide, mais qui n’est pas politiquement responsable de ses décisions. Depuis 1958, le Président s’est progressivement retrouvé au centre de l’arène. Plus encore que ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est montré interventionniste, y compris dans la gestion courante des affaires publiques. En conséquence, tout conduit à rechercher sa responsabilité.
Que se passe-t-il si l’Assemblée nationale renverse immédiatement le gouvernement nouvellement nommé, si elle refuse de voter la loi spéciale budgétaire, si une dissolution conduit à l’effacement presque complet du camp présidentiel ?
Le blocage serait politique, sans qu’il existe de moyen constitutionnel de mettre en cause la responsabilité politique du chef de l’État. Depuis 1875, le président de la République n’est pas politiquement responsable devant le Parlement : aucune procédure n’est prévue à cette fin, et ce principe ne connaît aucune dérogation constitutionnelle. Le refus de confiance d’une majorité parlementaire à un gouvernement que le Président a nommé, l’élection d’une majorité contraire à ses vues, l’échec d’un référendum qu’il a initié : rien de tout cela ne peut institutionnellement provoquer la fin de son mandat.
S’il est clair que les blocages constatés depuis la décision de dissoudre du 9 juin 2024, le retour de l’instabilité gouvernementale depuis le départ forcé d’Elisabeth Borne, le 8 janvier 2024, et les dysfonctionnements (gouvernementaux et parlementaires) qui en résultent diminuent le crédit du chef de l’État, elles ne créent pas pour autant une responsabilité politique au sens où on l’entend dans un régime parlementaire : faculté pour la chambre issue du suffrage universel de renverser un exécutif.
Hormis le décès, l’empêchement ou la destitution, il n’existe que deux possibilités, ni l’une ni l’autre procédurales, de cessation anticipée du mandat du chef de l’État. La première relève de sa propre initiative. Tel fut le cas en avril 1969 : le général de Gaulle avait, comme en 1962, conditionné son maintien au pouvoir aux résultats référendaires, en mettant en œuvre de son propre chef une responsabilité politique qui provoqua son départ. Aucun de ses successeurs ne l’a envisagé. Emmanuel Macron, dans la situation actuelle, s’inscrit dans leur ligne.
La deuxième possibilité est que les oppositions interrompent le fonctionnement régulier des institutions au point d’empêcher le Président et son gouvernement d’exercer leurs prérogatives. Tel fut le cas en 1924 où, à la suite de l’affrontement électoral dans lequel il s’était engagé, Alexandre Millerand fut confronté au refus des Chambres de maintenir ou d’investir un gouvernement, blocage communément appelé « grève des ministères » (voir Jean Félix de Bujadoux, « L’épisode Millerand » (1920-1924) , Dalloz 2024). Il en fut de même du départ politiquement imposé, deux ans après la dissolution du 16 mai 1877, par la Chambre au maréchal Mac Mahon, passé ainsi « de la soumission à la démission ».
Si différents du nôtre qu’en soient les contextes, ces précédents prennent une certaine actualité en cette fin d’été 2025. Après les expériences Barnier, puis Bayrou, un troisième échec, quelle qu’en soit la cause (nouvelle majorité introuvable, gouvernement renversé, blocage budgétaire, etc.) n’en poserait pas moins avec acuité la question de la continuation du mandat du chef de l’État.
Ils ne manquent pas ceux qui, depuis les gradins, sur les plateaux ou dans la rue, scandent « Macron démission ». Dans une arène, il n’y a pas d’arbitre. Seulement des acteurs qui jouent leur survie.
À supposer que l’appel à la démission soit entendu par l’intéressé, ce qui est douteux, il faut éviter une démission présidentielle brutale qui conduirait – compte tenu des délais électoraux très brefs prévus par l’article 7 de la Constitution en cas de vacance – à une élection précipitée, ne laissant pas le temps aux programmes de s’élaborer, ni aux alliances de se nouer.
Il ne tiendrait pour cela à Emmanuel Macron que d’annoncer sa démission avec effet à une date future (par exemple, après les élections municipales, ainsi que le suggère Nicolas Baverez dans le Figaro du 1 er septembre). Pour gérer le pays tout en évitant la panne de gouvernance que nous avons connue l’année dernière, il nommerait très vite un gouvernement et en confierait les rênes à un Premier ministre de transition expérimenté, consensuel, sensible aux enjeux régaliens et qui ne soit pas candidat à la prochaine élection présidentielle. Est-ce rechercher l’introuvable ?
S’il permet de sortir « par le haut » de la crise actuelle, ce scénario d’un départ volontaire, par lequel le Président ferait en quelque sorte amende honorable de son erreur originelle de juin 2024, est cependant peu probable eu égard à ses déclarations et à sa personnalité.
Il faut donc bien, pour terminer, envisager une hypothèse extrême : de soubresaut en blocage, de contournement en crise, le Président se trouve toujours davantage mis en cause, mais se refuse à la démission. Sa destitution est-elle alors possible ?
A priori , la condition de fond posée par l’article 68 de la Constitution pour la destitution (« manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ») ne serait pas remplie. En effet, un manquement « manifestement incompatible » avec l’exercice du mandat présidentiel ne serait pas constitué du seul fait (si responsable qu’en soit Emmanuel Macron) d’une configuration politique ingérable ou d’une absence prolongée de majorité.
Toutefois, un scénario au moins vient à l’esprit dans lequel la condition de fond posée par l’article 68 de la Constitution pourrait être remplie : le maintien indéfini du gouvernement démissionnaire. Le gouvernement Bayrou ne pourrait être renversé une seconde fois, car une motion de censure ne pourrait le rendre plus démissionnaire qu’il ne l’est déjà. En théorie, le président de la République pourrait donc tenter de le maintenir en fonctions pendant de longs mois. Cependant, outre que l’impossibilité de prendre des mesures excédant la notion d’affaires courantes ou d’actes dictés par l’urgence paralyserait un gouvernement démissionnaire trop longtemps laissé en fonction et desservirait drastiquement les intérêts de la Nation, le président de la République pourrait être alors taxé, non sans vraisemblance, de commettre un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » en tardant indéfiniment à nommer un Premier ministre. Il s’exposerait, ce faisant, en vertu de l’article 68 de la Constitution, à être mis en accusation devant la Haute Cour.
Qui plus est, la condition de fond posée à l’article 68 de la Constitution est à la seule appréciation de la Haute Cour, émanation du Parlement. En cas de volonté très majoritaire du Parlement de mettre un terme au mandat présidentiel, l’usage de l’article 68 pour parvenir à cette fin ne serait justiciable d’aucune autorité, et notamment pas du Conseil constitutionnel.
Il est vrai que la procédure de destitution prescrite par l’article 68 est une course d’obstacles longue et exigeante. Elle suppose réunie, ce qui n’est guère évident en l’état, une large majorité dans chaque chambre en faveur du départ du chef de l’État. Pour que la Haute Cour soit convoquée afin de délibérer de la destitution, il faut en effet que les deux assemblées adoptent une résolution dont les conditions de recevabilité, analogues à celle d’une motion de censure, sont d’être motivée et présentée par un dixième de leurs membres. La Haute Cour, présidée par le président de l’Assemblée nationale, statue à bulletins secrets. Les différents scrutins sont acquis à la majorité des deux tiers, avec interdiction des délégations de vote, recensement des seuls votes favorables à la convocation de la Haute Cour ou à la destitution, les abstentions valant vote défavorable.
Ces conditions seraient difficiles à réunir, même pour provoquer le départ d’un Président tardant excessivement à nommer un nouveau gouvernement. À l’exception de la Corée du Sud (en avril 2025), les démocraties contemporaines ne sont jamais arrivées au terme d’un processus de destitution engagé contre un chef d’État en exercice : Richard Nixon a démissionné avant un impeachment ( Cour suprême United States v. Nixon | 418 U.S. 683, 1974 ).
La destitution ne serait concevable que si la crise politique se muait en crise de régime ou en catastrophe économique et sociale, au point de compromettre la « continuité de la vie nationale ». Souhaitons, pour nous tous, qu’on n’en arrive pas là. « Le pire » écrit Claudel, « n’est pas toujours sûr ». https://www.actu-juridique.fr/constitutionnel/demission-du-gouvernement-bayrou-sortir-volontairement-de-la-talanquere-et-apres/