loading . . . Qu’est-ce que la “personnalité autoritaire” chez Adorno ? Qu’est-ce que la “personnalité autoritaire” chez Adorno ?
hschlegel
dim 02/02/2025 - 18:00
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Entre Trump, Poutine, Xi, Milei et les autres, le monde voit émerger des dirigeants dont le succès évoque l’adhésion à une « personnalité autoritaire ». Retour sur ce concept phare de l’École de Francfort, théorisé notamment par Adorno à la suite d’une étude d’ampleur sur la perméabilité au fascisme.
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La théorie de la personnalité autoritaire apparaît à la fin des années 1940. Pour essayer de comprendre comment les préjugés raciaux et antisémites ont pu s’imposer dans l’Allemagne nazie, et éviter ainsi le retour du fascisme, l’American Jewish Committee lance une vaste étude dirigée par le philosophe Theodor Adorno (1903-1969), qui collabore pendant deux ans et demi avec trois autres chercheurs de l’université de Berkeley, les psychologues Else Frenkel-Brunswik, Daniel Levinson et Nevitt Sanford. Le but de l’étude, qui croise psychologie sociale et science politique et sera publiée dans un livre, Études sur la personnalité autoritaire (1950), est de mettre en évidence, sous les croyances, les valeurs, les préjugés, des tendances irrationnelles de la personnalité et des mécanismes psychiques qui prédisposent les individus à la haine des minorités et les rendent perméables aux idées antidémocratiques et fascistes.
Le “potentiel fasciste”…
L’étude se déroule en deux étapes. Lors de la première, un échantillon de 2 000 individus, hommes et femmes issus de la classe moyenne blanche, sont soumis à plusieurs tests de personnalités (« échelles d’attitudes ») : questionnaires visant à établir le degré d’antisémitisme, d’ethnocentrisme, de conservatisme politique et économique, etc. Les résultats oscillent entre des scores de -3 et 3.
L’une des échelles retient particulièrement l’attention : celle du « potentiel fasciste ». Elle renvoie à la perméabilité aux idéologies totalitaires (échelle F) et se constitue de trente propositions prises dans des champs non connotés idéologiquement, répartis en dix variables :
Conventionnalisme (adhésion aux valeurs conventionnelles) ;
Soumission aux figures d’autorité, agressivité vis-à-vis de ceux qui violent les valeurs conventionnelles et tendance à intervenir pour préserver les conventions ;
Rejet de l’introspection, de l’imagination et de la subjectivité ;
Superstitions et stéréotypes (croyance au destin individuel, catégories de pensée rigides) ;
Puissance et dureté (affirmation par la force, conception du monde en termes de soumission et de domination) ;
Destructivité et cynisme (hostilité à la nature humaine, hostilité et dévalorisation d’autres individus) ;
Projectivité (perception du monde comme dangereux) ;
Rapport au sexe (préoccupation excessive pour les pratiques sexuelles modernes, considérées comme des « déviances »).
Ces différents tests sont accompagnés d’une premières série d’entretiens. À l’issue de cette première phase, Adorno et son équipe observent une corrélation étroite entre les résultats obtenus aux tests sur l’antisémitisme et l’ethnocentrisme. L’échantillon est resserré à 80 personnes, 40 hommes et 40 femmes, qui ont obtenu pour moitié le score maximal à ces deux tests, et pour moitié le score minimal. Les individus manifestant les croyances et les préjugés les plus antisémites et ethnocentriques obtiennent également, en général, un score élevé en ce qui concerne le potentiel fasciste. Il s’agit alors, pour Adorno, de passer du quantitatif au qualitatif – d’essayer de comprendre par des entretiens les racines psychologiques de ce qui se dessine. En l’occurrence, un profil psychologique : la « personnalité autoritaire ».
Les entretiens portent sur la relation aux parents, le rapport à autrui et à l’autre sexe, la perception de soi dans l’enfance et à l’âge adulte. Ils permettent d’interroger les conditions de développement de la personnalité autoritaire. La majorité des individus manifestant une personnalité autoritaire ont été élevés dans des familles strictes en matière de discipline, où les parents étaient perçus comme des figures menaçantes. Adorno et son équipe interprètent les tendances fascisantes comme une conséquence de ce type d’éducation : dans ces contextes, les enfants sont contraints de réprimer leurs sentiments négatifs et la pulsion d’agressivité à l’égard de leurs parents. Un tel refoulement conduit à un double mouvement : investissement affectif positif sur les parents, donc idéalisation des figures d’autorité auxquelles l’individu désire se soumettre ; redirection de la négativité refoulée sur des individus et des groupes minoritaires perçus comme faibles, indésirables et dominés.
…de Donald Trump ?
Peut-on reprendre ces outils pour analyser le succès de Donald Trump dans l’Amérique contemporaine ? Certains le pensent. « La personnalité autoritaire, l’une des œuvres phares de l’École de Francfort, a beaucoup à nous apprendre sur l’ère Trump », affirmait l’historien Kevin Mattson dès 2018, dans le journal Dissent Magazine. Ce concept de « personnalité autoritaire » peut aider à penser celle de Trump, son autoritarisme, ses velléités impériales, ses nominations arbitraires, sa démagogie – mais surtout, aussi, l’attrait qu’il suscite dans une grande partie de l’électorat américain. Si les causes de l’élection de Trump sont multiples, cette composante psychologique représente en tout cas un signal d’alarme. Et sans doute l’une des preuves supplémentaires que, si rien n’est fait pour contrer cette aspiration à l’autoritarisme, les États-Unis risquent bel et bien sombrer dans le fascisme au cours des années à venir.
février 2025 https://www.philomag.com/articles/quest-ce-que-la-personnalite-autoritaire-chez-adorno?utm_source=&utm_campaign=socialpilot