loading . . . Ziad Majed : “Le plan Trump entend dépolitiser le conflit israélo-palestinien” Ziad Majed : “Le plan Trump entend dépolitiser le conflit israélo-palestinien”
hschlegel
mar 14/10/2025 - 17:00
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Tandis que des otages ont été échangés contre des prisonniers et que l’aide humanitaire est revenue à Gaza, le futur des institutions politiques de la Palestine est plus flou que jamais. Explications avec le politologue Ziad Majed, auteur de Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours (La Découverte, 2025).
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Que pensez-vous du déploiement du plan Trump ?
Ziad Majed : La machine de mort semble s’être arrêtée. Le cessez-le-feu s’est imposé et des centaines de milliers de Palestiniens marchent en direction du nord vers la ville ravagée de Gaza. Les otages israéliens sont en train d’être libérés et échangés contre des détenus palestiniens. Les camions de l’aide humanitaire doivent bientôt entrer dans l’enclave, notamment pour fournir nourriture, médicaments et vaccins, mais aussi nettoyer, remettre quelques routes en fonction, rétablir des réseaux d’eau en attendant l’électricité qui va prendre bien plus de temps. Cependant, si la guerre qualifiée par les organisations internationales de génocidaire prend fin, beaucoup de questions restent en suspens. Qui va administrer Gaza ? Il est question aujourd’hui de mettre le territoire sous une tutelle étrangère supervisée par Tony Blair, une figure issue de l’histoire coloniale et mandataire britannique en Palestine associée à la guerre en Irak comme au mépris du droit international. Mais quelle élite politique palestinienne sera associée à la transition politique ? Ensuite, on ne sait toujours pas quand l’armée israélienne va se retirer, ni si le gouvernement de Netanyahou va finalement abandonner sa volonté de modifier radicalement la démographie de Gaza en faisant partir les habitants de gré ou de force. Le futur de l’occupation de la Cisjordanie n’est pas clair non plus. Comme si la gestion de Gaza devenait une affaire logistique sans perspective politique en relation avec le reste des territoires occupés.
Y a-t-il déjà eu autant d’incertitudes quant au futur des institutions politiques palestiniennes ?
Depuis la mort de Yasser Arafat, Israël a tout fait pour empêcher l’émergence d’une nouvelle élite politique palestinienne, soit par l’assassinat, soit par l’arrestation de leaders qui auraient pu jouer un rôle important dans une transition, comme Marwan Barghouti. Cela leur a servi de prétexte pour répéter qu’il n’y avait pas de partenaires crédibles pour construire la paix. Ensuite, la division territoriale et politique entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas, c’est-à-dire entre Gaza et la Cisjordanie, a été entretenue et a rendu impossible l’existence même d’un corps politique commun pour administrer les territoires palestiniens, qui demeurent, selon le droit international, « illégalement occupés par Israël ».
“Ce qui se dessine pour l’instant est un avenir sans cap politique […], avec un territoire de Gaza dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique” Ziad Majed
Pourquoi le plan Trump marginalise-t-il autant cette question du futur de l’administration politique de la Palestine ?
Ce plan est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques. C’est le cas de Steve Witkoff, envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, ou de Jared Kushner, l’un des architectes du plan Trump qui est aussi impliqué dans des projets de constructions au sein des colonies israéliennes en Cisjordanie. Pour eux, ce sont les affaires et les investissements qui permettront de traverser les turbulences politiques à Gaza. Et quand vous avez plus de 80% des habitations qui sont détruites ou endommagées, ils ont des arguments pour affirmer que la reconstruction politique est secondaire. Évidemment, derrière la question institutionnelle, il y a les négociations politiques, la reconnaissance de l’État palestinien, les questions du droit international et de l’impunité, des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, autant de causes qu’Israël et les États-Unis veulent occulter de leurs agendas. Se dessine donc un avenir sans cap politique, avec une Cisjordanie morcelée et colonisée, administrée en partie par une Autorité marginalisée et vieillissante. Et puis Gaza, un territoire dévasté où l’on va faire de la gestion sécuritaire, alimentaire, humanitaire, économique…
Cette volonté de dépolitiser les enjeux du conflit israélo-palestinien est-elle nouvelle ?
Elle marque profondément cette phase du conflit qui s’est ouverte le 7 octobre 2023. Depuis lors, tenter de contextualiser les événements – et notamment le 7-Octobre lui-même – a été perçu, surtout en Europe et aux États-Unis, comme une façon de justifier les attaques du Hamas. Il y a eu un changement dans la terminologie du conflit. Pendant deux années, nous avions la crise humanitaire d’un côté et les otages de l’autre, sans qu’il ne soit jamais possible de revenir au cœur politique du sujet, à savoir : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, aux questions de la colonisation – voire de l’annexion – de la Cisjordanie comme au blocus depuis 2007 de la bande de Gaza. Trump et son administration ne parlent plus de résolutions onusiennes, de droit international ou des Conventions de Genève. Tout se passe comme s’ils voulaient que ce conflit se déjudiciarise.
Beaucoup de pays, de l’Arabie Saoudite à l’Europe, ont tenté de remettre la politique au milieu en reconnaissant la Palestine. Est-ce insuffisant ?
Les rapports de force dans les relations internationales sont tels que Donald Trump impose pour le moment sa logique. Mais peut-être que les Européens, aidés par certains États arabes de la région, vont finir par peser dans les prochains mois. Enfin, il faut aussi prendre en compte que Trump reste très imprévisible. Il s’est montré pro-colonisation en ce qui concerne la Cisjordanie et l’ambassadeur des États-Unis en Israël a même dit qu’il comprenait l’annexion d’une partie de ce territoire palestinien occupé. Or, Trump a dit fin septembre qu’il n’y aurait plus d’annexion…
“Le plan Trump est piloté par des personnes qui ont une culture des affaires. Ils connaissent plus le monde de l’immobilier que celui des institutions politiques” Ziad Majed
Vous dites que le 7-Octobre a ouvert plus largement un nouveau moment dans l’histoire du Proche-Orient. Pourquoi ?
Tout s’est accéléré depuis fin 2023 : le rôle de l’Iran recule sans qu’on sache si Téhéran va tenter de le reconstruire ou si Netanyahou va prolonger sa guerre. Le régime Assad s’est effondré en Syrie mais la transition pose beaucoup de défis. D’un côté, il y a de fortes tensions sectaires avec les Kurdes, les Druzes ou les Alaouites. De l’autre, Israël y occupe désormais des positions et mène des frappes régulières. Tout comme au Liban qui est très fragilisé économiquement et politiquement. Le Hezbollah a perdu une partie de son influence mais garde le soutien d’une grande partie des Chiites. Est-ce que ce pays retrouvera son influence ? Quid de l’Irak ? Nous sommes dans un moment d’indétermination dans l’histoire contemporaine du Proche-Orient et de son rapport à un monde où reculent les valeurs universelles : il y a peu de projets politiques, que ce soit du côté des pouvoirs installés ou du côté des oppositions comme des dissidents. Et, dans cette grande indétermination, la seule certitude est qu’une partie des populations est condamnée à vivre dans des zones urbicidées. Pendant des décennies, des millions de personnes vont se réinstaller dans un environnement qui gardera la mémoire de la destruction et de la mort.
Le Proche-Orient, miroir du monde. Comprendre le basculement en cours, de Ziad Majed, vient de paraître aux Éditions La Découverte. 352 p., 18,50€, disponible ici.
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