loading . . . Les photos de Donna Gottschalk, mémoire lesbienne des années sombres aux États-Unis Par Terriennes Par Liliane Charrier
A partir de la fin des années 1960, la militante lesbienne Donna Gottschalk photographie les personnes avec qui elle a vécu, milité, travaillé. Un témoignage rare et intime de la communauté LGBTQIA+ à une époque où l'homosexualité, aux Etats-Unis, est illégale. Au BAL, dans le 18e arrondissement de Paris, ses photos sont à découvrir jusqu'au 16 novembre.
A partir de la fin des années 1960, la militante lesbienne Donna Gottschalk photographie les personnes avec qui elle a vécu, milité, travaillé. Un témoignage rare et intime de la communauté LGBTQIA+ à une époque où l'homosexualité, aux Etats-Unis, est illégale. Au BAL, dans le 18e arrondissement de Paris, ses photos sont à découvrir jusqu'au 16 novembre. Donna Gottschalk est née en 1949 dans un quartier populaire de New York. Sa mère, qui tient un petit salon de coiffure, élève seule ses quatre enfants depuis qu'elle a interdit au père, violent, l'accès du domicile familial. Aînée de la fratrie, Donna Gottschalk assume la responsabilité de ses frères et sœurs, dont elle sera toujours très proche. Après été recalée plusieurs fois, Dona Gottschalk est admise à la prestigieuse Cooper Union, où elle prend des cours de photographie. Mais aux yeux de ses professeurs, tous des hommes, son travail n'a pas grande valeur. La jeune femme en conclut qu'elle n'a rien à y faire et finit par abandonner ses études, mais pas la photographie. Et c'est à Cooper Union que la jeune femme rencontre d’autres lesbiennes qui l’introduisent à la vie nocturne et militante.
Vivre dans l'ombre Donna Gottschalk construit son regard de photographe au rythme de l’émergence des mouvements pour les droits des personnes LGBTQIA+ et de son engagement personnel. Car dans les années 1960, aux États-Unis, les lesbiennes sont invisibilisées, criminalisées – l'homosexualité y est illégale dans tous les États sauf un, l'Illinois, même si d'autres suivront bientôt dans les années 1970. Je cherche les moments tendres qui montrent l'humanité alors que dehors on nous traitait comme des ordures. Donna Gottschalk Alors Donna Gottschalk photographie ses amies, ses amantes, les filles qu'elle recueille dans son appartement de la 9ème rue parce que, perdues ou rejetées par leur famille, elles ne savent pas où loger. " En 1967, Donna, dix-huit ans, réussit à s’installer dans ce studio à la lisière d’Alphabet City, entre la Première Avenue et l’Avenue A. Elle travaille dur pour se payer ces quelques mètres carrés et cumule les petits boulots en plus de ses études à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art. Elle est modèle vivante, caissière, conductrice de calèche dans Central Park, serveuse dans un diner de Manhattan. De la bande, elle est la première à avoir un appartement, un vrai, juste pour elle. Elle est d’ailleurs connue pour accueillir toutes les personnes qui en ont besoin : les amies qui ont envie d’une soirée loin de leur foyer, les jeunes personnes queer chassées de leurs familles, les adolescentes fugueuses qui tentent d’échapper à la violence ", écrit l'autrice Hélène Giannachini, dont les textes accompagnent les univers de Donna Gottschalk tout au long de l'exposition.
Une autre famille A travers les portraits de Donna Gottschalk, souvent en noir et blanc, cadré serré, sans flash, on découvre une communauté solidaire, comme une famille. " Je cherche les moments tendres qui montrent l'humanité alors que dehors on nous traitait comme des ordures ", disait-elle. En photographiant son entourage, elle lui crée un espace de vie et une mémoire parvenue jusqu'à nous en cet été 2025 dans une impasse du 18e arrondissement de Paris, sous le titre "Nous autres" – "Nous autres", une bande contre l'ordre établi, mais aussi "nous qui sommes autres", qui sommes différentes, mais qui existons aussi.
Lutte pour les droits LGBTQIA+ En juin 1969, quand le soulèvement de Stonewall éclate dans West Village à New York , Donna Gottschalk a 20 ans et fréquente les bars lesbiens de Manhattan. Elle connaît l’importance et l’ambivalence de ces lieux de nuit où l’on risque à tout moment de se faire embarquer par la police. Aucun appareil photographique n’y est toléré. Elle demande donc à ses amies de poser à la sortie de secours de son appartement, ou profite d’une discussion animée pour saisir l’intimité et la complicité qui les lient, e n se glissant elle-même dans le cadre .
Ensemble, visibles et solidaires Inspirée par le travail de Diane Arbus, qu’elle découvre au MoMA en 1967, Donna Gottschalk photographie des êtres en marge depuis sa propre position, elle aussi marginale. Les personnes dont elle saisit l’intimité du quotidien ne sont jamais des objets de curiosité, comme elles pourraient l'être vus de l'extérieur. Chaque regard, chaque posture affirment " nous sommes là, ensemble, visibles, solidaires" . Quand on dépeint la communauté LGBT, à l'époque, c'est à travers la fête ou bien la lutte pour les droits. Hélène Giannachini Ces images de personnes lesbiennes, gays et trans photographiées dans leur quotidien composent un témoignage rare. " Quand on dépeint la communauté LGBT, à l'époque, c'est à travers la fête ou bien la lutte pour les droits" , explique Hélène Giannachini. Or ces images tendent à réduire ces personnes à leur identité de genre ou sexuelle. Ce que montre Donna Gottschalk, elle, c'est au contraire l'intime, le quotidien. C'est là que ces femmes vivaient leur sexualité et leurs choix, quasiment politiques, à l'intérieur, puisqu'elles ne pouvaient pas se montrer ailleurs, ou sur ces escaliers extérieurs qui, à New York, sont partout.
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Amitiés queer Les photos de Donna Gottschalk sont une matérialisation de ce que l'anglais appelle kinship , qui englobe les liens soudant un groupe de personnes et, selon la chercheuse Elizabeth Freeman, ouvre "un espace radical et ouvert d’expérimentation des relations". Une forme d'amitié fondamentale dans l’œuvre de Donna Gottschalk, comme dans sa vie. Le ciment invisible de sa famille choisie, qui protège de la violence sexiste et homophobe. Une amitié qui est autant un refuge qu'une force politique. C'est ce lien qui permet à Donna Gottschalk de rencontrer des semblables et de rêver sa vie avec. Ses amies étaient son "trésor", dit-elle souvent. Elle qui aimait tant les regarder qu’elle est devenue leur mémoire. I Want My People to Be Remembered Présenté dans l’exposition "Nous Autres", le documentaire réalisé par l'écrivaine et théoricienne de l’art Hélène Giannecchini est une traversée intime et politique des archives personnelles de Donna Gottschalk — photographies, planches-contact, cassettes audio, lettres, journaux. Lorsqu’elle rencontre Donna pour la première fois en 2023, une complicité immédiate s’établit. En confiance, Donna lui ouvre ses archives, qu’elle explore et recompose. À partir d’entretiens et de ces documents inédits, le film retrace le parcours de la photographe et de certaines de ses proches. Les voix de Donna, de sa soeur Myla et d’amies comme Jill s’entremêlent en un récit où l’intime rejoint l’histoire collective. Le film restitue une époque - celles d’une génération de femmes queer engagées, précaires et invisibilisées.
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Les oubliés Au-delà de la communauté LGBTQIA+, Donna Gottschalk documente la vie quotidienne de " celles et ceux que personne ne regarde et que tout le monde oublie" . Des personnes souvent très pauvres, aux prises avec la maladie mentale, le cancer ou le VIH . Donna Gottschalk avait déjà l’intuition que ces photos seraient le seul souvenir qui resterait de ces personnes et de leurs existences. Sur ses photographies, on voit sa mère coiffer ses clientes dans son petit salon, son père poser dans son foyer social, ses amies traîner sur les toits de New York…
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Donna Gottschalk photographie les mêmes personnes pendant trente ou quarante ans. On les voit vieillir devant l'objectif. Des clichés qui révèlent à la fois l’importance de leur lien, mais aussi la violence que subissent les corps queers et pauvres aux États-Unis. Sa sœur Myla reste toute sa vie l'un de ses sujets favoris. Donna Gottschalk documentera sans fard et en gros plan les violences auxquelles Myla, qui fera plus tard son coming-out trans, a été en butte jusqu'à sa mort, en 2012.
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Instinct protecteur Pendant des années, Donna Gottschalk n’a montré son travail à personne. Elle refusait de livrer ses portraits au jugement ou à la moquerie du public. Un désir de protection d’autant plus fort qu’elle photographiait les gens qu’elle aimait. Il aura fallu des décennies pour que ces images nous parviennent enfin. En 2018, son travail fait l’objet d’une première présentation au Leslie-Lohman Museum of Art à New York. Après des années de réserve, Donna Gottschalk sent qu’il est enfin temps de partager ses images. Preuves d’existences, gestes d’amour et de résistance, elles ne demandent pas seulement à être vues, elles nous engagent de façon troublante, aujourd'hui, alors même que Trump, aux Etats-Unis, s'attaque aux droits de la communauté LGBTQIA+.
Lire dans Terriennes : "Captives" : femmes en prison, entre ombre et lumière Janine Niépce, la photographe de l'émancipation des femmes au travail https://information.tv5monde.com/terriennes/les-photos-de-donna-gottschalk-memoire-lesbienne-des-annees-sombres-2787037