loading . . . 120ème anniversaire de la Loi de 1905: contribution du président du CLPS à une manifestation. Une personne
sous emprise ne pense plus par elle-même et n’agit pas dans son
intérêt. Ses pensées, son comportement lui sont imposés sans
qu’elle s’en aperçoive et elle se croit libre. Être témoins
passifs de cette emprise est-il compatible avec notre idéal laïque
?
Il
est impossible de décrire de manière exhaustive l'emprise sectaire
en si peu de temps, alors juste quelques citations, la première de
Roger Ikor, « le piège du bonheur ».
Les adeptes les secteurs sont effectivement heureux et c'est cela le piège ; le piège du bonheur. Je le lis très souvent quand j'ai devant moi des élèves de lycée ou des jeunes gens : si quelqu'un vous promet le bonheur total et immédiat, tout de suite, complet, sans réticence, sans réserve, sans ombre, sachez que c'est ou un recruteur de drogue ou un recruteur de secte. Car le bonheur ça ne s'attrape pas comme ça. On ne vous le donne pas de l'extérieur. Le bonheur ça se construit, avec des sens et des larmes ; ça se construit avec des mains, on prend des briques on les met l'une après l'autre. Quand on vous propose le château en l'air avec un coup de baguette magique, c'est le piège. Une vie ça se construit, tout du long, lentement, avec une volonté, avec de la douleur, mais avec la joie d'être un être humain digne et responsable. Or, le jeune homme ou la jeune femme qui se sent mal dans sa peau essaye d'échapper à sa responsabilité qui lui pèse ; une responsabilité neuve !
La
seconde, Alain Vivien : Je
crois qu'il faut que nous nous comportions non seulement en citoyens
conscients des difficultés qu'ils rencontrent, mais également sur
le plan affectif en gens très proches des victimes parce que je
crois que si l'on apporte un peu de chaleur humaine, c'est
probablement là la vraie famille que recherchent ceux qui sont un
peu perdus, et non la pseudo famille qu'ils risquent de trouver dans
les associations pseudo religieuses.
Un
exemple concret et ce sera fini avec les citations, de « la tête de
poisson » de Roger Ikor :
« en deux jours le garçon auquel je pense avait été converti et
criait à sa mère au téléphone : je veux vivre pour Krishna,
Krishna dont il ne connaissait pas le nom huit jours avant. Enlevé
quelque temps après par sa famille et mis au repos dans un hôpital
psychiatrique, une nuit de sommeil suffit pour le rendre à lui-même
sans recours à la moindre médication ».
Impossibilité
de penser par soi-même, sentiment d'être libre alors qu'on ne l'est
pas, sensation
d'être heureux, d'avoir trouvé une famille, une sensation qui peut
cacher une grande détresse, ce n'est ici pas un exposé exhaustif de
l'emprise, mais un aperçu en forme de raccourci. Est-ce que la
laïcité à la française est en mesure de prévenir les dérives
sectaires ? La question est plus complexe qu'il ne paraît au premier
abord ! La
loi de 1905 ne saurait à elle seule résoudre le problème du
sectarisme.
Elle
ne prévoit pas seulement la séparation des Eglises et de l'État.
Ses rédacteurs ont également assigné à la République la mission
de garantir la liberté de conscience. Et l'article 31 pénalise
toute pression en matière religieuse. En cherchant la jurisprudence
qui en résulte, on trouve peu. Quelques condamnations par exemple de
patrons exerçant des pressions sur leurs employés. Mais sans doute
cette loi de 1905 a insufflé dans notre législation un esprit
favorable à la reconnaissance de la liberté de conscience, de
choisir ses options en toute connaissance de cause. Cette loi
s'inscrit dans le socle des libertés publiques instituées par la
IIIe République.
C'est toujours
le même esprit de liberté qui a poussé le législateur à affirmer
la liberté des cultes mais dans les limites de l'ordre public. Un
ordre très libéral, qui n'interdisait que ce qui était dangereux
matériellement, mais qui ne prétendait nullement réglementer les
esprits. De ce fait, les autorités compétentes ont dû autoriser un
meeting du Front National à Strasbourg, des actions de propagande de
l'église de scientologie en région parisienne, la tenue d'un stand
de la Rose-Croix d'or à Poitiers, ou louer aux témoins de Jéhovah
une salle municipale dans nombre de communes. Un ordre public qui ne
discrimine pas les groupes sectaires quand il s'agit de leurs droits,
mais qui ne les discrimine pas plus quand il s'agit de sanctionner.
Prenons
l'exemple de l'église de scientologie. Moyennant finances, ce
mouvement a pour prétention d'améliorer le mental de ses disciples.
Pour cela, une méthode pseudo thérapeutique, la dianétique. En
même temps, elle se déclare Eglise et habille sa publicité d'un
vernis religieux.
Le
ministère des finances lui avait refusé l'exemption de la TVA et de
l'impôt sur les sociétés qu'elle avait sollicitée en se
présentant comme une Eglise. Elle s’était pourvue devant le juge
administratif. Elle avait invoqué dans ses mémoires son
interprétation des intentions du législateur lors du vote de la loi
de 1905, les opinions d'Aristide Briand, entre autres. L'objectif
qu'elle souhaitait atteindre était de se faire reconnaître comme
religion. Mais en vain, pour le Conseil d'État, cela n’importait
pas, le seul problème était de savoir si son objectif était
lucratif ou désintéressé. Le juge a conclu que la recherche de
fonds étant primordiale et avérée, elle n'était pas fondée à
demander l'exemption fiscale, qu'elle soit ou non une église.
Idem
lorsque des responsables de l'église de scientologie ont commis des
délits notamment pour escroquerie. Le juge a estimé qu'il fallait
tenir compte de la seule réalité matérielle des faits visés par
la procédure. Même si leur auteur est une Eglise.
Au
nom des droits de l'homme et de la liberté, nombreux sont les
groupes atteints de dérives sectaires à revendiquer ce qu'on
appellerait au Canada des « accommodements » et
peut-être plus encore. Par exemple l'autorisation accordée à un élève sikh, au nom du respect de sa religion, de venir muni de son petit
couteau prescrit par sa religion s'il se trouve dans un fourreau sous
sa chemise, alors qu'il est normalement interdit d'entrer armé dans un établissement scolaire Ces groupes en dérive sectaire se
disent réprimés lorsque la loi leur impose des limites. Ils
voudraient permettre d’adapter les textes à leur gré. Mais
rappelons-nous toutefois la limite posée à la liberté des cultes
par la loi de 1905 elle-même : l'ordre public. Parmi leurs soutiens des groupes sectaires,
des militants de la laïcité, au premier rang desquels Jean
Baubérot, en Belgique Anne Morelli.
À partir des
années 80 avec la reconnaissance en droit français sans réserve de
l'applicabilité de la Convention européenne des droits de l'homme,
avec et par le conseil constitutionnel, de la dignité humaine comme
principe à valeur constitutionnelle, la notion d’ordre public
évolue.
En
1991, le Conseil d'État confirme l'interdiction des lancers de nains
considérés comme portant atteinte à la dignité humaine. Une
personne humaine en serait considérée comme une chose et serait
avilie. Une soupe au cochon organisée au profit des personnes en
situation de précarité par une association d'extrême droite a pu
aussi être interdite du fait qu'elle humilierait les demandeurs
musulmans qui n'y auraient accès du fait de leurs convictions. On
peut légitimement regretter qu'il soit rare que ce principe de
dignité soit invoqué par les juges à l'encontre des dérives
sectaires. Cependant...
Les
témoins de Jéhovah proscrivent la transfusion sanguine. La
république ne permet pas que cette interdiction puisse concerner les
mineurs. Aussi, lorsque l'état de santé d'un enfant le nécessite,
la justice retire aux parents l'exercice de leur autorité le temps
qu’il soit procédé à la transfusion. Mais qu'en est-il pour les
adultes ? Il y a plusieurs décennies, certains d'entre eux,
gravement accidentés, avaient produit une attestation : ils
refusaient tout don de sang. Les médecins n'avaient pas eu le cœur
de les laisser mourir et les avaient sauvés en transfusant. Ils n'en
ont pas été trop remerciés: l’hôpital avait été l'objet
d'une demande d'indemnisation… pour atteinte à leur liberté
religieuse ! Mais le conseil d'État a énoncé après une longue
procédure que les sauver était licite à deux conditions : que le
pronostic vital soit engagé et que tout ait été fait pour les
convaincre d’accepter le don de sang. Le principe de dignité avait
quand même été évoqué au cours de la procédure, comme il
l’avait déjà été dans l'affaire des lancers de nains.
Limiter
les revendications à échapper à la loi n'est plus maintenant
l'apanage des groupes religieux. En tant que laïques nous souhaitons
que l'ordre public libéral protecteur de la personne humaine limite
toutes les prétentions à contourner la loi.
Dans
un ordre public libéral, pas de libertés sans limitations, au
contraire, l'objectif est d'assurer sans dogmatisme un équilibre
entre des droits souvent contradictoires.
Les
rédacteurs de la Convention européenne des droits de l’Homme ont
clairement défini des limitations. En effet, suivant ce traité
international, le droit à la vie, la prohibition de la torture, des
traitements inhumains et dégradants et de l'esclavage sont des
absolus. Toutes
les autres libertés, d’expression, d’association, de conscience,
sont soumises à des limitations qui affinent la définition de notre
ordre public que ce soit dans le but de ne pas empiéter sur les
droits d'autrui ou dans l'intérêt général.
Prenons
l'exemple de la récente pandémie. Des atteintes aux libertés
élémentaires de circulation ont été édictées. Mais l'objectif
n'était pas de limiter la liberté, mais de préserver la santé
publique. Les directives sanitaires ont pu être contestées, mais
leurs auteurs s’efforçaient toujours de ne pas interdire de
manière disproportionnée en maîtrisant l'épidémie. C’est alors
qu’au nom de la liberté, des groupes ont tenté de s'affranchir
des restrictions sanitaires.
Un
groupe de parents appartenant à la mouvance de l’anthroposophie,
dans la région lyonnaise, avait mis en ligne un clip joué par des
enfants dénonçant l'obligation de porter le masque.
Le
professeur Joyeux fut suspendu pour avoir outrepassé la liberté
d'expression concernant les vaccins et négligé de ce fait ses
obligations de médecin.
Il
y a toujours, même dans ces contextes qui n'ont rien de religieux,
ce dogmatisme porté par des individus et des groupes qui crient à
la répression de leur liberté lorsque l'ordre public et l'intérêt
général peuvent imposer des restrictions. Restrictions par ailleurs
prévues expressément par les rédacteurs de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Venons-en
maintenant à Pierre Rabhi, le fondateur de la mouvance des colibris.
Il incitait chacun à faire sa part mais sans trop préciser
laquelle... Il n'est pas très favorable c'est le moins qu'on puisse
dire, à l'éducation nationale, et l'école hors contrat créée par
sa fille s'est développée dans un premier temps sur son domaine
privé. Des colibris se sont déclarés en désobéissance civile en
éduquant leurs enfants en famille sans demander l’autorisation
préalable qu’impose la loi. Ils ont été sanctionnés par le Juge
pénal.
Encore
un autre exemple de volonté de se soustraire aux obligations de la
vie en société, à l'ordre public, à l'intérêt général. Le
patriarche qui tenait des stands sur la voie publique était un
ensemble de communautés thérapeutiques où c’étaient des
toxicomanes délivrés de l'addiction qui prenaient soin de ceux qui
en étaient encore victimes. Cette structure vivait surtout grâce à
des conventions signées avec le ministère de la Santé, mais il ne
se conformait pas à la réglementation en vigueur. D’où des
contentieux avec les autorités de tutelle, et le patriarche avait
invoqué l'atteinte… à la liberté d'association.
Les
groupes sectaires argumentent toujours ainsi, l’injonction à
respecter la loi est ressentie comme une atteinte à leur liberté.
En
2018 s’est terminée l'affaire de la ferme des deux soleils à
Servance, en Haute-Saône. Une ferme bio créée par une «
thérapeute » autoproclamée, sans aucune formation médicale qui
avait entraîné des collègues et des patients. La législation et
notamment le code du travail ont été malmenés. Il y eut procès.
La fondatrice fut condamnée et voici un extrait du jugement : «
la liberté de conscience, protégée par la constitution, ne peut
servir d’argument si le processus de captation mentale prend la
place de la raison, de la liberté de pensée et de l’agir en
conséquence ».
En
tant que laïques, nous affirmons au contraire l'égalité de tous
devant la loi ; aucune idéologie religieuse, écologique, aucune
théorie pseudo médicale ne justifie d’y déroger. Nous défendons
un ordre public libéral, une notion qui n'est pas intangible : elle
implique la recherche permanente sans dogmatisme d'un équilibre
fluctuant entre des droits souvent contradictoires.
En
tant que laïques nous sommes attachés au respect de la dignité.
Comme disait Vercors dans « Les animaux dénaturés » :
« l'humanité
n’est pas un état à subir mais une dignité à conquérir » .
En conséquence, l'individu a des devoirs envers lui-même, et pas
uniquement envers autrui. Le lancer de nains fut interdit, même si
la personne de petite taille souhaitait s’y prêter afin de
conserver le revenu qu’elle en tirait.
La
loi de 1905 est l’un des piliers de la laïcité à la française,
mais pas le seul. La déclaration de 1789, la tradition républicaine
libérale, la Convention européenne, la convention internationale
des droits de l'enfant et le code de l'éducation en sont aussi des
composantes. Plus que jamais, il faut en conserver l'esprit contre
les populismes et l’illibéralisme.
Pour terminer,
la principale difficulté, tant sociétale que juridique : dès
qu'il y a dérive sectaire, il y a atteinte aux droits de l'homme et
de l'enfant, et atteinte à la dignité. Des thèses ont été
consacrées à la défense, au nom de la liberté individuelle, du
droit à renoncer à ses droits, ou à s'avilir soi-même si on le
désire. Or, l'entrée et le maintien dans un groupe atteint de
dérives sectaires ne résulte pas de la coercition, mais au
contraire d'une sensation de bien-être et de liberté que l'individu
ressent, et sincèrement. Les récits des personnes qui en sont
sorties, souvent confirmés par des décisions judiciaires, nous
montrent le contraire. Sans entrer dans le détail, notre humanisme
laïque se doit de ne pas reconnaître comme légitime la
renonciation à sa dignité et à ses droits
C'est
dans cet esprit que notre association, le cercle laïque pour la
prévention du sectarisme travaille. Elle est notamment implantée
dans l’Est, en Drôme Ardèche, dans le sud-ouest et en Bretagne.
Elle évite l'invective, cherche surtout à établir les faits, à
les exposer et à susciter la réflexion.
Elle respecte
les personnes qui ont rejoint les groupes qu'elle étudie ; elle
bannit la colère, le mépris, la haine, qui ne peuvent que renforcer
leur sujétion. Elle a, pensons-nous, fait avancer la connaissance
sur des dérives de l'écologie, sur la mouvance de Rudolf Steiner,
sur l'enseignement hors contrat qui abrite souvent des dérives
sectaires. Elle sollicite de l'administration, malheureusement
souvent réticente les rapports d'inspection des écoles hors
contrat.
Il
apparaît aujourd’hui que l'enseignement privé sous contrat peut
abriter des atteintes aux droits de l’homme similaires. Nous
publions régulièrement sur notre blog des informations sourcées et
des réflexions. Enfin, nous avons édité un ouvrage collectif,
« regards
laïques sur les dérives sectaires » ,
qui fait le bilan de nos recherches à la fin de l'année 2024. https://actu-sectarisme.blogspot.com/2025/11/120eme-anniversaire-de-la-loi-de-1905.html